Les modèles de soins intégrés et intégratifs (intégration de pratiques non conventionnelles dans le plan de soins du patient) s’avèrent opérants si une collaboration de qualité entre les différents acteurs du soin est présente. La littérature s’est beaucoup intéressée aux déterminants cette collaboration interprofessionnelle interdisciplinaire et inter- organisationnelle, notamment dans le domaine des soins primaires. Les différentes revues et articles sur ce sujet proposent des conseils qui se rejoignent (1 à 15).

La collaboration interdisciplinaire est un processus interactionnel et interpersonnel complexe entre professionnels de plusieurs disciplines ayant une intentionnalité, une prise de décision, une responsabilité et un pouvoir communs. Ils travaillent ensemble pour résoudre des problèmes de soins centrés sur les patients. Les acteurs travaillant ensemble au sein d’une même organisation forment alors une équipe. Cela suppose que la réalisation des résultats souhaités ne serait pas possible si chaque discipline agissait indépendamment. Les disciplines sont alors impliquées de manière égale et reconnues comme apportant une contribution unique, importante et complémentaire au processus. Cette collaboration comprend plusieurs composantes essentielles dont l’interdépendance, les activités professionnelles nouvellement créées, la flexibilité, l’appropriation collective de buts et d’objectifs mutuels. Une vision partagée des soins et des valeurs est nécessaire pour garantir un travail uni vers un résultat commun. La satisfaction des soignants est liée au bon partage des informations telles que l’état clinique des patients, les objectifs de rétablissement et l’agenda des interventions internes et externes à l’organisation. Cela permet de réduire les dédoublements de procédure et d’intégrer efficacement chaque prestation.

Les bénéfices d’une bonne collaboration intra-organisationnelle en équipe sont multiples. Les patients sont plus satisfaits des soins qu’ils reçoivent qui sont de meilleure qualité et moins segmentés. Les coûts tendent à être mieux maîtrisés avec une meilleure productivité de part une coordination. Les professionnels déclarent une amélioration de leur satisfaction professionnelle avec moins d’épuisement ressenti et une plus grande tendance au signalement des incidents.

La qualité d’un travail d’équipe basé sur les pratiques quotidiennes va dépendre d’un niveau fort d’intégration avec un sentiment d’appartenance. Un climat de respect mutuel, de confiance, d’ouverture et d’écoute favorise de bonnes relations interpersonnelles. Cela nécessite des contacts fréquents afin de permettre une sociabilité, une appréciation des membres et une bonne connaissance des pratiques respectives. Les statuts, les rôles et les responsabilités de chacun doivent être définis et énoncés. Leur clarté constitue un des facteurs les plus importants. Le flou et l’incompréhension sont des problèmes courants qui favorisent les conflits et l’apparition de « personnalités insolubles » dans un groupe. Les valeurs et les objectifs précis et déterminés encouragent à une créativité individuelle mise en commun. Aussi, la philosophie des soins guidée par le lien avec le patient et sa famille facilite la continuité des actions.

Le travail en équipe requiert donc une variété de compétences, notamment dans la communication interpersonnelle honnête et directe et la gestion des conflits afin d’inciter les membres à exprimer leur attente et à explorer des positions opposées. Elles permettent de faciliter la résolution des difficultés interdisciplinaires. L’efficacité dépend aussi du cadre de travail et des valeurs personnelles des membres. La pratique dans un même espace favorise la rapidité des contacts et une bonne ambiance. Les équipes plus petites semblent plus efficaces que les groupes élargis. Aussi les groupes comprenant une plus grande diversité professionnelle apportent un impact plus important pour les innovations. Les valeurs des membres conseillés pour rendre une équipe opérante sont l’honnêteté, la discipline, la créativité, l’humilité, la curiosité, la flexibilité, la passion et la compassion.

Un bon leadership est fondamental. Il permet d’engager les personnes dans la philosophie des soins intégrés. Il a une capacité à franchir les frontières et les stresseurs, à prendre des risques et à créer une vision claire d’un modèle de soins innovant permettant un point d’ancrage pour la prise de décision. Un leadership solide et motivé offre une direction à l’équipe via la délivrance d’informations transparentes. Il doit être disposé à allouer des ressources au processus de développement tel que le temps nécessaire aux changements culturels, aux changements de pratique et au processus d’équipe. Aussi, un leadership partagé tend à diminuer les conflits et les tensions. La participation active des membres dans des processus décisionnels avec un accroissement des responsabilités rend les équipes plus efficaces avec un travail de meilleure qualité. Pour autant, une redistribution des pouvoirs doit être accompagnée par un change management adapté. Il permet d’éviter les résistances, notamment chez des médecins qui craignent une diminution de leur champ de contrôle. Les responsabilités tendent à être hybrides (individuelles et collectives) et à dépendre plus de la prestation fournie que de la posture traditionnelle de chaque discipline. Un manque global de leadership peut causer de la frustration et conduire à une mauvaise prise de décision.

Le travail d’équipe comprend également des initiatives individuelles et collectives bien qu’il puisse exister des barrières structurelles, idéologiques, organisationnelles et relationnelles qui peuvent entraver cette démarche. Le soutien individuel avec une solidarité entre les membres, la valorisation, la récompense et l’encouragement à l’innovation est crucial. Le soutien organisationnel particulièrement en santé mentale et la promotion de l’éducation et de l’utilisation des bonnes ressources est tout aussi important. Les conditions financières peuvent générer des obstacles qu’il faut prendre en considération.

L’interdépendance définit dans quelle mesure les rôles sont intégrés dans un réseau d’influences environnementales et sociales. Viser une plus grande interdépendance peut conduire à une meilleure performance que si elle est soutenue par une bonne collaboration. En pratique l’augmentation de l’interdépendance nécessite la réalisation d’interventions pour former à l’interdisciplinarité afin d’encadrer les processus de communication, de décision et de partage de connaissance. Ainsi, la formation interprofessionnelle souvent citée comme une méthode idéale pour générer une dynamique groupale opérante dans une atmosphère non compétitive comprenant un engagement commun, une confiance mutuelle et une communication efficace. Elle permet la compréhension d’autres disciplines, la reconnaissance des valeurs respectives, la sensibilisation aux rôles et l’acceptation des compétences et des responsabilités de chacun. Elle permet de réduire les stéréotypes et les croyances erronées entre les disciplines.

Le processus d’’équipe comprend l’élaboration et l’acceptation de commentaires fiables et opportuns sur les succès et les échecs dans le fonctionnement et la réalisation des objectifs. Ils peuvent être recueillis par exemple lors des réunions de concertation et ils sont utilisés pour suivre et améliorer les performances immédiatement et dans le temps. Aussi, les résultats cliniques doivent pouvoir être régulièrement évalués sur des mesures objectives et les progrès comparés aux à des attentes prédéterminées. La clarté et la cohérence des objectifs permettent de réduire les conflits liés à des différences dans les critères de réussite au traitement. L’examen des performances peut également être réalisé à l’aide d’audits. Ils permettent de juger d’une manière globale la dimension de l’intégration des services et de considérer les limites structurelles pour améliorer la collaboration. L’absence d’audit, de comparaison et de prise en compte des propositions individuelles peut conduire à une baisse de motivation des soignants tout comme une baisse de l’estime d’eux-mêmes ainsi que des opportunités manquées de les féliciter pour leur contribution. Des échelles de mesures peuvent-être utilisées pour évaluer la qualité d’un travail en équipe à travers la perception des membres de travailler ensemble. L’évaluation peut permettre de reconnaître les forces et les faiblesses d’un groupe et d’aider à identifier les meilleures stratégies possibles pour améliorer les pratiques, la satisfaction des professionnels et des patients dans une démarche centrée sur lui. C’est le cas du Revised Collaborative Practice Assessment Tool. Cette échelle de 21 items explore 5 facteurs : les soins centrés sur le patient, la communication collaborative, le conflit interprofessionnel, la clarification des rôles et l’environnement. De bonnes valeurs psychométriques ont été démontrées pour une population de soignants hospitaliers aux États-Unis et au Japon.

Des interventions interprofessionnelles basées sur la pratique peuvent être appliquées afin d’accroître la collaboration. Elles impliquent le déploiement sur le lieu de travail d’outils spécifiques tels que des activités facilitées par l’extérieur (audit, ateliers pédagogiques), les rondes et rencontres interprofessionnelles, l’utilisation de checklists interprofessionnelles ou encore les débriefing. Comparativement à des groupes contrôles et dans divers domaines étudiés, ces pratiques pourraient améliorer légèrement l’état fonctionnel du patient, le respect des pratiques recommandées et l’utilisation des ressources disponibles. Pour autant, il n’existe à ce jour pas suffisamment de preuves suffisantes pour tirer des conclusions claires sur les effets de ces interventions.

La collaboration inter-organisationnelle quant à elle correspond à l’ensemble des processus dans lesquels les professionnels représentant plusieurs organisations distinctes travaillent de manière interdépendante. En réduisant la redondance des efforts, elle a le potentiel de rendre les interventions plus rentables. Une plus grande valeur est produite en capitalisant sur les forces des partenaires. En plus des éléments clés cités précédemment, elle doit mettre l’accent sur la formalisation de processus collaboratifs en procédures. Comme pour une équipe, la clarification des rôles, des paramètres pratiques et des ressources, avec définition et description précise est importante pour éviter la confusion et les luttes de pouvoir entre les organisations. La collaboration peut alors être facilitée par des « coordinateurs de l’intégration » qui sont familiers avec les différents programmes que proposent les organisations.

En ce qui concerne les facteurs de collaboration entre les acteurs de santé conventionnels et non conventionnels, une revue de la littérature souligne l’importance d’une gouvernance de qualité. Elle tient un rôle stratégique et politique. Elle permet la création d’une orientation claire et explicite pour réduire les résistances des instances et des membres à l’approche intégrative, pour favoriser les consensus et pour gagner en légitimité. Des arguments pour surmonter ces obstacles comprennent par exemple la nécessité de répondre aux demandes actuelles et croissantes des patients désireux des prises en charges holistiques. Aussi, fournir des soins complémentaires lorsque les approches biomédicales sont limitées pour les malades difficiles et orienter les patients légers qui n’ont pas besoin d’une approche biomédicale invasive sont des raisons à faire valoir.

La gouvernance doit assurer une viabilité du financement pour le lancement et le maintien d’un environnement de soins intégratifs. Cet aspect est majeur pour favoriser le recrutement de praticiens MAC expérimentés et pour contribuer à leur sentiment d’appartement au sein d’un dispositif conventionnel intégratif. Une stabilité financière, basée par exemple sur un solide système d’autofinancement et de maitrise des coûts, permet d’éviter une concurrence des approches et de favoriser la pérennité des traitements MAC. Le leadership tend à être acquis par des cliniciens qui ont une formation mixte, à la fois conventionnelle et des MAC. Ces derniers sont particulièrement adaptés pour anticiper et résoudre les tensions et les écarts entre les paradigmes de la médecine conventionnelle versus alternative et complémentaire. Ils sont plus à même à obtenir l’approbation des deux parties. Le leadership doit aussi obtenir le soutien nécessaire des dirigeants de l’approche conventionnelle, même ceux qui ne participent pas aux soins pour diminuer une pression des pairs qui peut entraver la participation des soignants conventionnels souhaitant collaborer. Pour les auteurs, la mise en place d’un projet intégratif ne peut se faire que si une large coalition d’acteurs est mobilisée pour soutenir un changement nécessaire avec un partage du pouvoir distribué.

Comme cité précédemment, la nécessité d’une bonne communication rend nécessaire des interactions fréquentes entre les praticiens et cela est facilité par un exercice sous le même toit. Pour autant, cette condition n’est que potentielle et insuffisante dans un processus de collaboration intégratif et peut constituer une menace potentielle pour le sentiment d’autonomie des praticiens ainsi que pour la limitation des thérapies proposées. Une solution possible face à un exercice dans différents lieux est l’organisation de réunions présentielles dans un programme de formation continue. La communication efficace doit aussi être encouragée par l’utilisation de terminologies communes permettant de diminuer la barrière linguistique liée aux différences de paradigme entre les différentes pratiques.

Un programme intégratif oblige à un réaménagement innovant des responsabilités dans un soucis de haute qualité et de sécurité. Cette sécurité des traitements MAC, si elle est une préoccupation majeure, permet de réduire les résistances des directions de soins, d’autant plus si les praticiens MAC sont accrédités dans leur propre discipline, couverts par une assurance et possédants des titres en médecines conventionnelles. En effet, ceci augmente la chance d’un renvoi vers un professionnel biomédical si le patient ne relève pas d’une pratique MAC prioritaire. Sur le terrain, les praticiens conventionnels restent souvent les « chefs d’orchestre » en exerçant un certain contrôle pour garantir une responsabilité globale dans la prise en charge. Cela peut être également un moyen de gagner en légitimité. Certains praticiens MAC y voient un confort pour la sécurisation des patients et de leur pratique. Aussi, ces derniers qui acceptent de travailler dans un environnement conventionnel peuvent profiter d’un accès à des installations performantes, être mieux reconnus et avoir un adressage de patients. Pour autant, cette organisation peut aussi créer une frontière professionnelle conduisant à des résistances et une marginalisation du rôle des praticiens MAC. En conséquence, le différentiel de pouvoir entre les praticiens doit être ajusté et limité pour obtenir une participation significative des praticiens MAC et limiter le risque de conflits. D’une manière générale, la confusion autour des limites des rôles, des champs d’exercice, de la responsabilité ainsi que l’incompréhension sémantique, le manque de modèles mentaux communs et les menaces à l’identité professionnelle sont des obstacles aux programmes intégratifs.

Toujours en contexte intégratif, les procédures documentées et formalisées permettent de guider les soignants dans des actions souhaitées. Lors d’une configuration avec l’avis premier d’un praticien conventionnel responsable du programme, une délégation aux praticiens MAC peut se faire par une orientation directe ou basée sur un protocole de collaboration flexible avec ce dernier. Ces approches privilégient l’individualisation des traitements et leur sécurité selon la disponibilité locale des pratiques mais elles privilégient peu l’efficacité thérapeutique dans le sens de l’EBM puisqu’elles privilégient l’expérience. Une autre forme de délégation est fondée sur la création d’accord de références spécifiques à un trouble ou une condition incluant un protocole strict ayant montré une efficacité dans la littérature. Cette approche diminue alors l’individualisation mais garantit une meilleure efficacité. Elle pourrait également réduire le risque de conflit et de tension car la délégation ne dépendrait pas de l’appréciation au cas par cas d’un praticien.

 

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