Définition, contexte et valeurs
Les soins intégrés, managed care, integrated care ou encore soins collaboratifs offrent une nouvelle vision relativement récente de l’organisation des soins dans l’histoire de la médecine. Ils s’intéressent particulièrement à la collaboration interprofessionnelle afin de prendre en charge le patient dans sa globalité. Ce concept ne peut pas être définis de manière étroite, mais doit être considéré comme un ensemble large et multi-facette d’idées et de principes qui cherchent à mieux coordonner les soins autour des besoins du patient (1). Il consiste avant tout à répondre de manière intégrée un problème de santé.
Cette notion de soins intégrés émerge vers la fin des années soixante. La promotion des pratiques médicales était principalement centrée sur l’hôpital avec une médecine curative tournée vers le diagnostic et le traitement des maladies aiguës. Le contexte économique était favorable (2). L’avancée en âge de la population et la modification des modes de vie a fait émerger des pathologies plus diversifiées et chroniques suivant une tendance croissante. Les affections chroniques constituent à ce jour la première cause de mortalité et la première dépense de santé en Europe (3,4). Ces troubles sont souvent multi-morbides avec une intrication de symptômes physiques divers et de symptômes psychiques. Les conséquences pour l’individu et son entourage sont multiples : souffrance, isolement, ruptures, invalidités, perte de revenu, etc. Les patients se retrouvent dans une situation hautement complexe nécessitant l’implication d’acteurs de diverses disciplines médicales et paramédicales. Les besoins en termes de santé ont évolué avec le temps pour converger vers le même constat : la nécessité d’une meilleure collaboration entre les intervenants, d’une offre de proximité variée, d’une bonne continuité des soins et d’une coordination des différents systèmes. La médecine actuelle, encore trop tournée vers le traitement curatif des affections aiguës, peine à gérer efficacement ces pathologies multifactorielles pour accompagner ces patients dans la durée.
L’Organisation Mondiale de la Santé, dans son rapport Integrated care models : an overview définit en 2016 l’intégration des soins de santé comme « une approche visant à des systèmes de santé centrés sur la personne par la promotion de services de qualité, conçus en fonction des besoins multidimensionnels de la population et de l’individu et fournis par une équipe multidisciplinaire coordonnée de prestataires travaillant dans différents contextes et niveaux de soins. Elle doit être gérée efficacement pour garantir des résultats optimaux et l’utilisation appropriée des ressources sur la base des meilleures preuves disponibles, avec des réévaluations continuelles pour améliorer les performances, lutter contre les causes en amont de la mauvaise santé et promouvoir le bien-être par le biais d’actions multisectorielles »(5). Cette définition vient compléter un autre rapport de l’agence en 2015, Global strategy on people-centred and integrated health services, où les services intégrés sont « gérés et fournis d’une manière qui garantisse à la personne un continuum de promotion de la santé, prévention de la maladie, diagnostic, traitement, gestion de la maladie, réadaptation et soins palliatifs, aux différents niveaux et lieux de soins au sein du système de santé, et en fonction de leurs besoins tout au long de leur parcours de vie » (6).
Les soins intégrés reposent donc sur un ensemble de composants et de prestations stratégiques conduisant à un changement de culture soignante. Ils incluent l’engagement des patients dans une position d’acteur, un soutien à l’autogestion, le développement d’une culture de travail professionnelle, l’adoption de protocoles cliniques partagés fondés sur des données probantes, la gestion efficace des ressources, la surveillance des performances et l’investissement dans les technologies du partage de l’information.
D’autres définitions peuvent être apportées pour bien appréhender les enjeux. Les soins intégrés sont « un acte collectif de personnes aux connaissances, expériences et provenances diverses dont on attend qu’elles produisent un résultat global qualitativement supérieur à la somme des actes posés par chacun séparément ». C’est aussi « un changement de culture : une certaine richesse humaine, celle de créer des liens avec des partenaires ayant une autre expertise, en faisant le pari que cette rencontre bénéficiera au patient qui a droit à la prestation optimale » (7). Le bénéfice attendu réside peu dans la délivrance d’un nouveau traitement mais dans la manière dont les acteurs collaborent entre eux pour apporter au patient le meilleur outil, au bon moment et de manière spécifique. Un ensemble de caractéristiques essentielles servent de conditions préalables au succès de ces soins, à savoir une cause commune (la nécessité de changer de modèle pour une population donnée), une vision et une stratégie commune (un processus incluant chaque organisation, dont la population, pour développer des aspirations et des objectifs clairs), un financement et une planification conjointe des prestations, ainsi qu’une évaluation régulière pour permettre une amélioration constante de la qualité (8).
Les soins intégrés sont caractérisés par différents cadres conceptuels définis par leur type, leur niveau, leur processus, leur étendue ou encore leur degré d’intensité (1,5). L’intégration organisationnelle fait référence à la collaboration de fournisseurs coordonnés en réseau ou à des contrats qui rassemblent des organisations distinctes. L’intégration fonctionnelle est liée à l’apport d’une fonction de soutien et de back-office, par exemple technologique avec le dossier électronique partagé. L’intégration clinique fait référence aux processus de collaboration professionnelle grâce à l’utilisation de directives et de protocoles partagés. Elle peut également être normative, verticale ou horizontale, réelle ou virtuelle, etc. Le National Institute of Mental Health définit 3 niveaux d’intégration : les soins coordonnés qui sont axés sur une meilleure communication entre les prestataires, les soins colocalisés qui sont axés sur une meilleure utilisation géographique de l’offre et enfin les soins intégrés qui sont axés sur un changement profond de pratique de soins, ceci étant le niveau le plus abouti de la démarche collaborative (9).
Ces modèles sont soutenus par diverses instances de santé dont l’OMS, l’Union Européenne et le Service Public Fédéral Belge (10,11). Ce dernier a édité en 2015 un plan conjoint en faveur des malades chroniques : Des soins intégrés pour une meilleure santé (11). Il met l’accent sur des composantes clés à implémenter. Elles sont également citées dans la littérature comme des valeurs sous-jacentes essentielles pour élaborer le cadre des soins intégrés (12).
La place traditionnelle du patient est revisité en la rendant centrale au sein du dispositif. Les soins deviennent centrés sur la personne. L’individu est pris en compte dans sa globalité. Une attention personnalisée est apporté à ses besoins pour permettre de favoriser des objectifs, préférences et décisions partagées entre le patient et les soignants. Un meilleur équilibre du pouvoir et des responsabilités est recherché (6,16). Pour y parvenir, la notion d’empowerment du patient vise à accroitre l’autonomie et l’engagement de la personne dans les choix thérapeutiques. Aussi, l’empowerment des professionnels amène à valoriser et soutenir leurs compétences avec une plus forte implication dans le partage des savoir-faire et dans la prise de décision collective et partagée.
Le case management est une approche spécifique d’accompagnement qui permet de mieux gérer les cas cliniques complexes relevant de l’action sociale, de la santé, du handicap, des assurances, et de l’éducation (13). Elle vient répondre à l’hyperspécialisation des acteurs et à la diversification du système de santé qui rend difficile la compréhension et l’orientation des bénéficiaires. Elle diminue le cloisonnement de la communication entre les institutions grâce à une meilleure gestion et coordination de l’ensemble des soins médicaux, paramédicaux et de bien-être nécessaires aux besoins multidimensionnels de la personne. Le case management introduit la fonction de case manager ou coordinateur de parcours (14). Cet accompagnateur évalue les besoins du patient, élabore et planifie un plan de soins et garde un contact étroit avec lui pour assurer le suivi des actions. Il aide la personne à adhérer au parcours thérapeutique et facilite la mise en œuvre des aides et des traitements. Il créé un pont entre les nombreux acteurs. Dans le même sens, la planification des soins permet de fournir des services plus personnalisés, ciblés et anticipés. Le plan partagé cartographie les processus en cours, articule clairement le rôle de chacun et détient l’information rétrospective et prospective sur les démarches passées et à venir (5). Il sert de point de référence pour tout partenaire impliqué. Il est dynamique et ajusté grâce aux évaluations périodiques de son efficience avec un feedback de chaque intervention.
La transformation culturelle, de la prestation de services vers des soins intégrés, nécessite une compréhension du processus de changement lui-même. Dans ce sens, le change management invite les acteurs de la gouvernance à penser la transition. Il requiert un bon leadership afin d’accompagner les équipes et limiter les résistances au changement. Cette transition peut être conceptualisée comme une expérience d’apprentissage organisationnelle et collaborative entre les acteurs de différents niveaux de soins et de différentes organisations (15). Elle est facilitée par l’utilisation de cadres cliniques de référence et de procédures élaborées conjointement par tous. La création de guidelines multidisciplinaires ou lignes directrices communes visent à aider les acteurs à prendre des décisions rationnelles communes fondées sur les preuves de meilleures pratiques. Le soignant n’est alors plus un prestataire exécutant une tâche mais le maillon d’une équipe dont le patient fait partie. La coordination et la collaboration créé un cadre au sein duquel chaque soin trouve une juste place, soutenu par un contexte de travail favorable à son intégration.
Bien qu’il y ait un intérêt et des investissements croissants dans la mise en œuvre de soins intégrés à l’échelle internationale, il n’y a pas de lignes directrices officielles pour leur réussite (17). Cela va dépendre de l’interaction de divers facteurs d’influence tels que l’établissement de partenariats, de structures financières et de plateformes de technologies de l’information soigneusement développées. Leur étendue peut être limitée en raison des coûts nécessaires et de leur complexité. Les obstacles relèvent des difficultés opérationnelles, des défis réglementaires, d’une attribution financière peu claire et non pérenne ainsi que d’une inertie culturelle (18). La technologie numérique joue un rôle clé dans le soutien de ces modèles grâce à l’essor des outils de partage d’informations comme le dossier patient informatisé. Elle permet d’accroitre les communications et la connexion entre les fournisseurs tout en respectant le secret professionnel. Elle élargit également l’accès aux soins et le nombre de prestataires disponibles pour atteindre des personnes qui ne peuvent s’engager dans des modalités de traitement traditionnels. Elle permet de faire remonter l’information pour aider au suivi des patients et accéder aux résultats des interventions (19).
De nombreuses initiatives ont donc vu le jour dans différents pays (16). La mise en évidence de leur efficience est à ce jour reconnue dans certaines études, bien que l’hétérogénéité des interventions freine la réalisation de méta-analyses aux conclusions probantes. Les soins intégrés améliorent la qualité des prestations, la satisfaction des patients et l’accès aux soins (20). Ceux qui pourraient le plus en bénéficier sont les patients multimorbides et/ou souffrants de troubles mentaux ainsi que les personnes âgées. Chez ces derniers, les soins intégrés ont un impact positif sur les taux d’admission aux urgences, la durée des séjours, la baisse des réadmissions et leur satisfaction (21). Des résultats positifs sont aussi suggérés dans d’autres revues pour divers troubles chroniques (trouble cardiaque, diabète, asthme, bronchite chronique obstructive) avec une réduction des admissions et réadmissions à l’hôpital, une réduction des accidents, une meilleure observance des directives de traitement, une meilleure qualité de vie, voire une réduction des coûts de santé (22,23). En santé mentale, des programmes intégrés associant une approche multidisciplinaire, des plans de soins personnalisés, le case management, un suivi des interventions et une amélioration des canaux de communication entre les prestataires améliorent l’adhérence aux soins, la qualité de vie et le fonctionnement social des patients dépressifs, anxieux et addicts avec des résultats qui peuvent être observés à long terme (24,25, 28). Un recours moins à l’hospitalisation peut-être observés (27). Les soins intégrés peuvent également être d’un grand renfort pour améliorer la santé somatique de ces patients (26).
Ces initiatives viennent aussi répondre à des changements socio-économiques d’organisation de la santé. Les objectifs politiques de réduction des dépenses renforcent la contrainte de l’optimisation des coûts directs et indirects des pathologies. Les soins intégrés peuvent répondre à la limitation des enveloppes budgétaires et à un manque de soignants grâce à une substitution de tâches et une augmentation de l’efficience des soins (7). La littérature cherche encore à démontrer la rentabilité financière significative de l’approche. Bien que certaines études évoquent des impacts économiques positifs pour les maladies chroniques (29,30), une revue se concentrant sur les méthodes d’évaluation de ses soins évoque des disparités trop grandes dans les qualités méthodologiques des travaux pour conclure à une rentabilité robuste (31). L’évaluation des bénéfices financiers en est encore à ses débuts, considérée comme un défi pour les économistes du fait de leur grande complexité et de la spécificité de chaque intervention (32).
Références
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